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Freud et l’inceste : une histoire juive

publié le mercredi 23 mai 2018 par Laurent Guyénot

En 1895, Freud, médecin diplômé depuis 1881, acquiert la conviction que ses patientes hystériques, dans leur grande majorité, ont vécu une « relation sexuelle durant l’enfance ».

 

Le 21 avril 1896, il donne une conférence intitulée Étiologie de l’hystérie, et déclare :

 

« Je pose donc l’affirmation qu’à la base de chaque cas d’hystérie, se trouvent – reproductibles par le travail analytique, malgré l’intervalle de temps embrassant des décennies – un ou plusieurs vécus d’expérience sexuelle prématurée, qui appartiennent à la jeunesse la plus précoce ».

Pour la plupart des femmes hystériques, précise-t-il, le traumatisme initial est une violence sexuelle commise par le père avant la puberté.

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Par un euphémisme caractéristique de l’époque, on a nommé cette hypothèse étiologique la « théorie de la séduction ».

Dans leur état de conscience normal, les hystériques n’ont pas de souvenirs des événements traumatiques, mais les affects associés refont surface dans leurs crises hystériques.

 

Ces derniers étant analogues à des transes hypnotiques, le travail analytique consiste à reproduire ces états par l’hypnose pour faire accéder les souvenirs à la pleine conscience.

Cette « méthode cathartique », Freud l’a empruntée à son maître Joseph Breuer, avec qui il a déjà publié l’année précédente des Études sur l’hystérie . Dans sa conférence, Freud se réfère à « la découverte capitale de Josef Breuer : les symptômes de l’hystérie (en dehors des stigmates) sont déterminés par certaines expériences du patient qui ont agi de façon traumatique et qui sont reproduites dans la vie psychique sous la forme de symboles mnésiques. »

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Joseph Breuer

Breuer ne mettait pas l’accent sur les abus sexuels.

 

Mais Freud avait connaissance de la documentation médico-légale démontrant la fréquence des violences sexuelles sur les enfants. Cette littérature incluait les travaux du professeur Auguste Ambroise Tardieu (1818-1879), doyen de la faculté de médecine de Paris, et de son successeur Paul Brouardel (1837-1906), qui dirigeait à la morgue des autopsies publiques auxquelles Freud a assisté.

 

Freud possédait le livre de Brouardel sur les viols d’enfants, ainsi que celui du docteur Paul Bernard titré Des Attentats à la pudeur sur les petites filles (1886).

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Paul Brouardel

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  Auguste AmbroiseTardieu

Cependant, alors que la réalité des violences sur les enfants étaient une évidence pour les médecins légistes, il en allait tout autrement chez les neurologues et psychiatres : chez eux, la tendance était au déni. Ils contestaient la validité des témoignages, qu’ils proviennent d’enfants ou de patients, et les mettaient sur le compte de l’imagination perverse des enfants ou des hystériques.

 

La littérature médico-psychologique de cette école, représentée par des articles comme « Hystériques accusatrices », ou « Les enfants menteurs », était abondante dans les années 1880.

On peut donc admettre avec Jeffrey Masson que, si Freud n’est pas le premier à prendre en compte la fréquence des abus sexuels, il « a été le premier neurologue à croire ses patientes ». « Avant Freud, les psychiatres qui entendaient de telles histoires accusaient leurs patientes d’être des menteuses hystériques et considéraient leurs récits comme de simples inventions. »

On doit donc également reconnaître que Freud a fait preuve de courage en lisant sa conférence sur L’Étiologie de l’hystérie devant la Société de Psychiatrie et de Neurologie de Vienne en 1896, à l’occasion de sa première intervention publique. Et l’on comprend l’accueil glacial qui lui fut réservé.

Son article, raconte Masson, « fut accueilli par un silence absolu. On lui enjoignit ensuite de ne surtout pas le publier, par souci de sa réputation. Plus s’épaississait le silence qui l’entourait, plus Freud était seul. Il trouva néanmoins le courage de braver ses pairs et de publier malgré tout "L’Étiologie de l’hystérie" .

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Durant l’été 1897, cependant, Freud fait volte-face : il renonce subitement à croire aux souvenirs d’agression sexuelle émergeant à la mémoire de ses patientes hystériques, et prétend que ces agressions n’avaient été que fantasmées. De là naît et évoluera la théorie psychanalytique de la sexualité infantile, qui, dans ses élaborations ultérieures, s’épanouira du stade oral au stade anal en passant par le stade sadique-anal, avant d’atteindre le stade phallique entre trois et cinq ans.

Du point de vue de son hypothèse antérieure, on peut parler d’ « inversion accusatoire » : ce sont maintenant les enfants, ces « pervers polymorphes », qui sont déclarés éprouver spontanément du désir sexuel et de l’hostilité envers leurs parents.

 

Ces désirs refoulés généreraient par la suite des fantasmes d’inceste « destinés à dissimuler l’activité auto-érotique des premières années de l’enfance » (Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, 1914).

Les névroses découleraient de traumatismes engendrés, non par des agressions sexuelles, mais par les fantasmes des malades, qui se transformeraient, chez les hystériques, en faux souvenirs d’abus sexuel.

Dès lors, Freud n’aura de cesse de corriger ses premiers travaux par des notes de bas de page, en déclarant avoir depuis lors « surmonté son erreur », faisant de cette victoire sur les mensonges des hystériques sa découverte héroïque. Il écrit dans son Étude autobiographique (1925) :

« Avant d’explorer plus avant la question de la sexualité infantile, je dois mentionner une erreur que j’ai commise pendant un certain temps et qui aurait pu avoir des conséquences fatales pour l’ensemble de mes travaux.

 

Sous l’influence d’une procédure technique que j’utilisais alors, la majorité de mes patients ont reproduit des scènes de l’enfance impliquant une séduction sexuelle de la part d’adultes. Chez les patientes, le père jouait presque toujours le rôle du séducteur.

 

J’ai cru à ces histoires, et en conséquence, j’ai supposé que j’avais découvert les racines des névroses subséquentes dans ces expériences de séductions sexuelles au cours de l’enfance. Ma confiance a été renforcée par quelque cas pour lesquels les relations de ce type avec un père, un oncle ou un frère aîné avaient perduré jusqu’à un âge pour lequel les souvenirs sont fiables. Si le lecteur se sent enclin à hocher la tête devant ma crédulité, je ne peux vraiment pas le lui reprocher. »

À propos de ce qu’il prenait auparavant pour les traces mnésiques d’incestes réels, il précise :

« La parcelle de vérité contenue dans ce fantasme réside dans ce que le père, par ses innocentes caresses dans la toute petite enfance, a en fait éveillé la sexualité de la petite fille (la même chose se produit entre le petit garçon et sa mère).

 

Ce sont ces mêmes tendres pères qui ensuite s’efforcent de faire cesser chez l’enfant l’habitude de la masturbation, habitude dont ils sont alors eux-mêmes involontairement à l’origine. »

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Freud est particulièrement désireux d’exonérer les pères. Il écrit dans son Introduction à la psychanalyse :

«  Si dans le cas des filles qui racontent un tel événement dans l’histoire de leur enfance, leur père figure assez souvent comme le séducteur, il ne peut y avoir aucun doute quant à la nature imaginaire de l’accusation ». 

Pour être juste, Freud n’a jamais nié que certaines de ses patients et patientes aient subi des agressions sexuelles. Comment l’aurait-il pu ?

 

Dans bien des cas qu’il avait documentés, l’abus était avéré. Mais il n’en a presque plus parlé, car pour lui, tout se passe dans l’inconscient : c’est le fantasme de l’enfant qui crée la culpabilité, le refoulement et la névrose, et il est indifférent qu’il y ait eu ou non un acte réel.

Pour les freudiens, l’abandon de la théorie de la séduction au profit de la théorie des pulsions est l’acte fondateur de la psychanalyse.

 

Mais depuis les années 1980 s’est développée une saine recherche révisionniste tendant à montrer qu’en réalité, Freud a renoncé à une vérité dérangeante, dont l’énoncé lui avait valu l’ostracisme de la profession psychiatrique, au profit d’une théorie qui présentait, entre autres avantages, celui de préserver et même renforcer l’omerta sur la fréquence des abus sexuels d’enfants.

 

Ainsi la psychanalyse est-elle devenue une violence supplémentaire faite à toutes les victimes d’abus sexuels, accusées de fantasmer.

 

L’ouvrage qui documente de la façon la plus approfondie le revirement de Freud est celui de Jeffrey Masson, Le Réel escamoté (Aubier, 1984), récemment revu et augmenté sous le titre Enquête aux archives Freud. Des abus réels aux pseudo-fantasmes (L’Instant Présent, 2012).

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Masson avait auparavant dirigé l’édition non expurgée des 284 lettres écrites par Freud à son ami et confident Wilhelm Fliess entre 1887 et 1902, une source d’informations inestimable sur les motivations de Freud.

 

La faute cachée du père

 

C’est à Fliess que Freud fait part pour la première fois de sa théorie de la séduction, dans une lettre datée du 8 octobre 1895 :

« Sache qu’entre autres choses, je soupçonne le fait suivant : l’hystérie est déterminée par un incident sexuel primaire survenu avant la puberté et qui a été accompagné de dégoût et d’effroi. Pour l’obsédé [névrose obsessionnelle], ce même incident a été accompagné de plaisir . »

 

Un an plus tard, son père Jakob décède, le 23 octobre 1896. « Tout le passé resurgit », écrit-il peu après à son ami, à qui il rapporte également un rêve fait le lendemain de l’enterrement, dans lequel il lisait sur un écriteau l’inscription : « ON EST PRIÉ DE FERMER LES YEUX. »

 

En juillet 1897, il commence son auto-analyse (il y fait sa première allusion en août 1897). En septembre, en anticipation du premier anniversaire de la mort de son père, il retourne à Vienne s’occuper de la pierre tombale. Il traverse alors une grave crise, qui le paralyse intellectuellement :

 

« Celui de mes malades qui me préoccupe le plus, c’est moi-même  », écrit-il à son ami.

Enfin, dans une lettre fameuse du 21 septembre 1897, il lui annonce l’abandon de sa théorie de la séduction :

« Et maintenant je veux tout de suite te confier le grand secret de quelque chose qui m’est progressivement venu à l’esprit ces derniers mois. Je ne crois plus à ma neurotica [sa théorie de la séduction]. »

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Dans un livre très remarqué intitulé L’Homme aux statues. Freud et la faute cachée du père (Grasset, 1997), Marie Balmary pose l’hypothèse que le revirement de Freud est intimement lié à sa relation à son père.

Dans une lettre à Fliess du 8 février 1897, soit deux mois et demi après la mort du père, il évoque les troubles hystériques de son propre frère et conclut :

« Malheureusement, mon propre père était l’un de ces pervers, et est responsable de l’hystérie de mon frère (dont tous les symptômes sont des identifications) et de celles de plusieurs de mes jeunes sœurs.

 

La fréquence de ces circonstances me laisse souvent songeur. En tout cas, j’aurai beaucoup de matériaux à te soumettre à Prague . »

 

Or, dans sa lettre du 21 septembre, parmi ses raisons d’abandonner sa neurotica, il écrit :

« Puis, aussi, la surprise de constater que, dans chacun des cas, il fallait accuser le père de perversion, y compris le mien. »

 

Dans la même lettre, il évoque l’immense soulagement que lui procure ce renoncement :

« Si j’étais déprimé, confus, épuisé, de tels doutes devraient sûrement être interprétés comme des signes de faiblesse. Puisque je suis dans l’état contraire, je dois les reconnaître comme le résultat d’un travail intellectuel honnête et vigoureux et dois être fier qu’après être allé si loin, je sois encore capable d’une telle critique».  Deux semaine plus tard (3 octobre 1897), il écrit, à propos de sa propre névrose :« Dans mon cas, le père n’a joué aucun rôle actif » 

 

Tout porte donc à croire, selon Balmary, qu’à l’issue d’une intense lutte intérieure, Freud a reculé devant une vérité qui détruisait l’image idéale de son père qu’il était en train d’élaborer par le deuil. Il ne pouvait se résoudre à accuser son père, une fois celui-ci mort.

 

Il s’est soumis à l’ordre envoyé par ce père défunt de « fermer les yeux ». C’est pour justifier cette reculade qu’il inventa la théorie du complexe d’Œdipe, dont il fait part à Fliess pour la première fois le 15 octobre 1897.

Balmary fait d’ailleurs remarquer que Freud a tronqué le mythe grec de tout ce qui concerne la double faute du père d’Œdipe, le roi de Thèbes Laïos : pédérastie et infanticide.

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​Laïos fut en effet maudit par les dieux pour avoir séduit un jeune adolescent et entraîné son suicide, puis, effrayé par l’oracle annonçant qu’il serait tué par son propre fils, fit abandonner le nourrisson dans la forêt « les chevilles transpercées par le milieu avec des pointes de fer » (Euripide, Les Phéniciennes).

Ainsi, dans le mythe complet, le destin d’Œdipe n’est pas déterminé par ses propres pulsions, mais par les fautes de son père, ces fautes que Freud a voulu, au fond, maintenir refoulées dans le secret de l’inconscient.

 

À ce dossier, Balmary ajoute encore des éléments biographiques évoquant un secret de famille qui n’est pas sans évoquer la faute du père d’Œdipe : on découvrit en 1968, dans le registre de la population juive de Freiberg, que Jakob Freud n’avait pas été marié deux fois, comme tout le monde l’assurait, mais trois, et que Sigmund était né deux mois plus tôt qu’il le croyait.

 

Sa mère Amalia, âgé de 20 ans, était enceinte de deux mois lorsque son père, âgé de 40 ans, l’avait épousée le 29 juillet 1855, alors qu’en 1852, il était marié à une certaine Rebecca, dont la trace se perd. Sur la base de conjectures, Balmary fait l’hypothèse du suicide de la femme abandonnée.

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         Wilhlem Fliess

Jeffrey Masson s’est intéressé également à l’étrange Wilhelm Fliess et à son influence encore plus étrange sur Freud.

 

Dans ses lettres à Fliess, Freud fait preuve à son égard d’une admiration et d’un désir de validation qu’on a qualifié de « transfert paternel  ».

 

Pourtant, Fliess est un oto-rhino-laryngologiste pour le moins farfelu, inventeur de la « névrose nasale réflexe » et auteur en 1897 d’un livre intitulé La Connexion entre le nez et les organes sexuels féminins.

 

Persuadé que les femmes peuvent être guéries de l’habitude de la masturbation par une opération du nez, il faillit faire mourir l’une des patientes que Freud lui avait confiée, Emma Eckstein, lorsqu’il oublia cinquante centimètres de gaze dans son sinus après l’avoir opéré pour la guérir de son hystérie.

 

L’indulgence de Freud à son égard est alors stupéfiante. Non seulement il l’excuse totalement : « On ne peut rien te reprocher ! » mais il attribue les saignements d’Emma après son opération à son hystérie :

« Il n’y a aucun doute que ses hémorragies étaient dues à des désirs. »

Ce ne peut être un hasard, estime Masson, si Freud abandonne l’hypothèse de la séduction précisément au moment où il innocente Fliess, qu’il idéalise comme un père, de sa criminelle incompétence dont faillit mourir sa patiente . Cela en dit long sur l’état mental de Freud dans cette période.

 

Que Fliess ait quelque chose à voir avec la crise morale d’où sortira le renoncement à la théorie de la séduction, Freud lui-même en a le sentiment, lorsqu’il lui écrit le 21 septembre 1897 :

« Quelque chose venu des profondeurs abyssales de ma propre névrose s’est opposé à ce que j’avance encore dans la compréhension des névroses et tu y étais, j’ignore pourquoi, impliqué. L’impossibilité d’écrire qui m’affecte semble avoir pour but de gêner nos relations. »

Freud ayant détruit toutes les lettres de Fliess, nous ne savons pas exactement comment ce dernier l’influença.

Mais Jeffrey Masson a mis à jour un autre aspect intéressant du dossier : Robert Fliess (1895-1970), le fils de Wilhelm Fliess, a témoigné avoir été agressé sexuellement par son père, précisément pendant la période qui nous occupe ici.

Et selon Eleonor Fliess, qui consacra une courte biographie à son époux Robert Fliess, Wilhelm Fliess « procédait à des études psychosexuelles sur ses enfants ».

 

Fliess aurait même confié à Freud qu’il avait observé des érections chez son fils âgé de 18 mois, stimulée par la nudité de sa femme (mère de Robert).

 

Tout porte donc à croire que Freud s’est rangé à une théorie qui innocente tous les pères abuseurs, sous l’influence d’un père abuseur.

En renonçant à attribuer les névroses à des abus sexuels et en inventant l’ « auto-érotisme » infantile, Freud, consciemment ou inconsciemment, protégeait son propre père, d’une part, et la figure paternelle de Fliess, d’autre part .

Sándor Ferenczi et le nouveau débat sur les souvenirs refoulés

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Les psychanalystes les plus intéressants se sont émancipés de l’orthodoxie freudienne, pour revenir aux intuitions initiales de Freud.

 

Le premier à le faire ouvertement fut Sándor Ferenczi (1873-1933). Freud le considérait comme son disciple le plus doué, jusqu’à ce qu’il réaffirme la réalité des abus sexuels subis par ses patients et patientes.

 

Dans son journal écrit de juillet à octobre 1932, on lit (24 juillet 1932), que le complexe d’Œdipe pourrait bien être « le résultat d’actes réels commis par des adultes, à savoir de violentes passions à l’égard de l’enfant, qui développe alors une fixation, non pas par désir mais par peur. »

 

Quelques jours plus tard (30 juillet 1932), Ferenczi écrit :

« De mes analyses, j’ai appris qu’une partie de notre être peut "mourir". Alors que l’autre partie de notre soi peut survivre au traumatisme, elle en émerge avec un trou de mémoire. En fait, c’est même un trou de personnalité, puisque non seulement les souvenirs de cette lutte à mort sont effacés, mais également tous les souvenirs qui y sont associés… peut-être pour toujours. »

 

Le dernier article de Ferenczi, intitulé Confusion de langue, fut présenté au 12e Congrès International de Psychanalyse en 1932. On y lit :

« Tout d’abord, j’ai pu à nouveau confirmer l’hypothèse, que j’avais déjà énoncée, qu’on est loin de mettre assez en avant le traumatisme comme facteur pathogène, particulièrement le traumatisme sexuel.

 

Même des enfants de familles honorables, puritaines, ayant des principes, sont victimes de viol avéré, bien plus fréquemment qu’on oserait le penser.

 

Soit les parents eux-mêmes cherchent un substitut à leur insatisfaction sexuelle de cette façon pathologique, soit des personnes de confiance, membres de la famille (oncles, tantes, grands-parents), précepteurs, domestiques, abusent de l’ignorance et de l’innocence des enfants.

 

L’objection courante, à savoir que nous aurions affaire à des fantasmes de l’enfant lui-même, c’est-à-dire à des mensonges hystériques, est malheureusement anéantie par la multitude de confessions, de la part de patients en analyse, d’agressions qu’ils ont commises sur des enfants. »

 

La réaction des psychanalystes à cette communication fut unanimement négative.

 

Ferenczi mourut peu après, et son article ne fut ni commenté publiquement, ni traduit en anglais.

 

Freud et son mouvement, constituée en une véritable église, reproduisaient ainsi la réaction négative à laquelle Freud avait lui-même dû faire face après sa conférence sur l’Étiologie de l’hystérie.

Ferenczi ne fut pas le seul dissident tenté par l’hérésie.

Robert Fliess, le fils de Wilhelm Fliess déjà mentionné, après toute une collection de livres sur la psychanalyse, publia un livre intitulé Symbol, Dream and Psychosis (1973), que Jeffrey Masson décrit comme « un plaidoyer, aussi intelligent qu’éloquent, en faveur de la réhabilitation dans la pratique psychanalytique moderne de la première théorie de Freud sur la séduction . »

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La dissidence de Ferenczi, que Masson contribua grandement à faire connaître, est revendiquée par un courant psychothérapeutique très influent aux États-Unis dans les années 1980, celui des « psychothérapies régressives », qui prétendent faire remonter à la surface des souvenirs traumatiques refoulés, par l’usage de techniques hypnotiques.

 

Malheureusement, ces thérapies se fondent sur une compréhension beaucoup trop simpliste des phénomènes de refoulement, qui néglige, d’une part, l’élaboration des affects refoulés dans l’inconscient, d’autre part, les parasitages possibles durant l’hypnose.

 

La facilité avec laquelle on peut fabriquer des faux souvenirs sous hypnose (souvenirs de vies antérieures ou d’abduction par des extra-terrestres, par exemple) n’est plus à démontrer, et un certain nombre d’affaires judiciaires retentissantes fondées sur des « souvenirs retrouvés » (recovered memory) en thérapie, dans les années 1980, ont fini par discréditer grandement cette pratique.

Extraits du site https://freudquotidien.wordpress.com

Paroles de psychanalystes

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Françoise Dolto sur les violences incestueuses

 

« Choisir – Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?

F. Dolto – Il n’y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.

Choisir – Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte que, dans son enfance, son père a coïté avec elle et qu’elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?

F. Dolto – Elle ne l’a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l’aimait et qu’il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui. (…)

Choisir – D’après vous, il n’y a pas de père vicieux et pervers ?

F. Dolto – Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui, en disant que cela ne se fait pas, pour qu’il la laisse tranquille.

Choisir – Il peut insister ?

F. Dolto – Pas du tout, parce qu’il sait que l’enfant sait que c’est défendu. Et puis le père incestueux a tout de même peur que sa fille en parle. En général la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite. »

(Choisir, novembre 1979 ; Entretien cité dans Le Viol du Silence, Eva Thomas, éd. Aubier 1986)


Françoise Dolto sur la complicité incestueuse de l’enfant

A. Ruffo : « Mais quand le père nie et que la mère est complice, que la mère refuse ou est incapable de protéger son enfant, qu’il faut le retirer du milieu familial, qu’arrive t-il de cette relation avec le père ? »
F. Dolto : « Ca dépend de chaque enfant, et je crois que ça dépendra de la relation maturante qu’il va rencontrer avec la famille dans laquelle il sera placé, ou avec l’éducateur avec qui il pourra parler et qui pourra justement lui faire comprendre que l’excitation dans laquelle était son père, peut-être sans l’avoir cherché, l’enfant en était complice. Parce que je crois que ces enfants sont plus ou moins complices de ce qui se passe…Il faudra leur dire très tôt…qu’ils ont un devoir de se dérober à ça pour que leurs parents restent des parents pour eux… »

(L’enfant, le juge et la psychanalyste, 1986 et 1987, Gallimard, 1999)

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Jacqueline Schaeffer sur l’inceste

 

« L’inceste paternel, ça fait pas tellement de dégâts, ça rend des filles un peu débiles, mais l’inceste maternel, ça fait de la psychose, c’est-à-dire, c’est la folie »

(Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme, 2011)

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Guidino Gosselin sur la pédophilie

« Le pédophile, lui, va essayer de montrer que la différence sexuelle, le manque, n’existe pas. C’est ainsi qu’il va rechercher, qu’il va tomber amoureux…

 

Dire ça c’est dire quelque chose d’épouvantable de dire… mais la pédophilie c’est aussi, il faut essayer d’entendre, je sais que ça a quelque chose de choquant d’entendre qu’un pédophile est quelqu’un qui puisse être amoureux d’un enfant. […]

 

Le pédophile, lui, il veut être un bon père, c’est à dire un père non seulement… qui aime l’enfant, qui fait preuve d’amour avec l’enfant, mais qui veut aussi que l’enfant puisse jouirqui veut reconnaitre le droit à la jouissance de l’enfant. »

(Psychanalyse : la Théorie sexuelle, teaser. Sophie Robert)

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